DECOUVRONS 

AVIGNON 

LA SOMPTUEUSE


Avignon serait née…à Villeneuve ! Elle serait née dans la grotte du Trou de la Lune, sur la rive gardoise du Rhône, il y a quinze millénaires, des épousailles d’un chasseur d’aurochs venu de l’Est, nommé Haavig, avec la fille du chef d’un clan de chasseurs d’esturgeons, la belle Higghnon.

Lors de la fête nuptiale, les membres de la tribu, enthousiastes, scandaient les noms des jeunes époux.

- Higghnon !

- Haavighnon !

- Haavignon !

- Havignon !

- Avignon ! »

Ainsi fût prononcé, pour la première fois, le nom qui sera bientôt celui de l’une des capitales du monde… 

Comme disait Pagnol, « c’est peut-être pas vrai, mais ça pourrait l’être ! Alors c’est pareil. »

Plus tard, bien plus tard, les celto-ligures établis sur le Rocher des Doms reprirent le nom d’Avenio. Puis grecs, massaliotes et romains en firent une fière et opulente cité marchande entre Arles et Lyon.

Les grecs de Massalia y avaient des comptoirs commerciaux fortifiés. Les romains à leur apogée en firent une place stratégique de plus de vingt mille habitants, commandant la vallée du Rhône et celle de la Durance. C'était alors une place forte accrochée à son rocher et protégée par le fleuve qui l'entourait au deux tiers.

La période glorieuse de la Provence gréco-romaine s'acheva sous les coups des barbares de tout poils. Avignon, arc-boutée à son rocher forteresse, résista longtemps puis fut prise par les Goths dont elle devint une redoutable place forte. Trois ans après leur raclée de Poitiers, les Arabes envahirent la Provence, faisant d'Avignon une de leurs plus redoutables positions. Charles Martel lui-même en fit le siège, prit la ville, la perdit, la reprit et massacra tout le monde, laissant la ville en ruine. Pas de détail. Adieu les beaux monuments romains... La population, massacrée par les soudards et anéantie par la peste, se releva pourtant et résista victorieusement à d'autres envahisseurs : les Normands. Puis la ville, réunie au Royaume d'Arles, fut rattachée à l'Empire. 

Au douzième siècle, Avignon fut politiquement érigée en Commune indépendante. Le pouvoir appartenait alors à huit consuls nommés chaque année par un collège électoral et assistés par un Conseil Général de la cité et par le peuple d'Avignon convoqué en Parlement public. La commune battit monnaie, légiféra, eût une armée, posséda des terres et des fiefs sur toute la région. Une sacrée puissance ! Stratégiquement placée, Avignon a toujours eu vocation à jeter des ponts. Ainsi fût édifié, au XIIe siècle le fameux pont Saint-Bénézet. Un pont né de la foi d'un petit berger du Vivarais et de la reconnaissance d'amour d'un grand du Royaume de France pour la belle Flamenca... Il était alors le seul pont depuis la mer. La ville devint un incontournable carrefour. C'était aussi une redoutable cité guerrière, avec ses remparts, ses hautes murailles, ses tours crénelées, son rocher escarpé. Une ville cosmopolite de commerce, de passage, d'industries. La ville était opulente, arrogante, cultivée, redoutée, jalousée...

Puis vint le temps noir de l'intolérance religieuse et de la « Croisade contre les Albigeois ». Avignon, alliée du Comte de Toulouse, se crut assez forte pour résister au Roi de France… Réduite après un siège de trois mois, elle perdit sa belle indépendance, ses fortifications, ses palais et subit le joug politique du représentant de l'église. Même son fameux pont fut au trois-quarts détruit. Elle se releva une fois encore et s'étendit considérablement. Sous l'autorité du Comte de Provence, Avignon recouvra une opulence paisible, prélude à une extraordinaire période de faste et de puissance : celle de la venue des papes.

Si vous regardez bien, les sept papes d'Avignon ont tous un air de famille... 

Et pour cause: ils ont tous été peints post mortem par le même artiste avec le même modèle!


Philippe-le-Bel - celui de la tour de Villeneuve ! - n'était pas un tendre et était en lutte ouverte avec le pape Boniface VII. Un de ses porte-rapière, Guillaume de Nogaret, avait gratifié le souverain pontife d'une cinglante bouffe en pleine tiare ! Et c'est un Français, Bertrand de Got qui fut élu et couronné à Lyon à la demande musclée de Philippe-le-Bel, sous le nom de Clément V. Il gagna Avignon en 1309.

Son successeur fut élu après deux ans de sanglantes empoignades sous le nom de Jean XXII. Un rugueux vieillard qui établit sa puissance en s'appuyant sur la sordide Inquisition, les intégristes sanguinaires et bornés de l’époque. Les « barbecues » pontificaux firent allègrement griller au nom de la foi les Vaudois, les Cathares, les Fraticelles et tout ce que la rumeur qualifiait de sorciers et surtout de sorcières…

Lui succéda Jacques Fournier, un solide Ariégeois, élu sous le nom de Benoît XII. C'est lui qui fit bâtir une bonne moitié du Palais des Papes, la demeure fortifiée la plus puissante du monde.

Puis vînt Clément VI. Un fastueux celui-là qui bâtit les plus belles parties du palais et fit d'Avignon – qu’il acheta à la flamboyante pétroleuse qu'était la Reine Jeanne – l'une des cours les plus brillantes de la chrétienté. Sous Clément VI, la ville comptait 120 000 habitants, dont 100 000 étrangers. Italiens surtout, Français du sud-ouest, Catalans et Aragonais, Allemands, Anglais, Scandinaves, Grecs, Levantins, Juifs. Une cité extrêmement cosmopolite qui se transforma. Chaque dignitaire construisit sa « livrée » avec une tour, symbole de puissance. Les cardinaux et les ordres mendiants élevèrent des églises. Les laïcs fortunés bâtirent de somptueuses demeures. Une très riche vie intellectuelle, universitaire et artistique, appuyée sur un mécénat généreux draina vers la Cité des Papes les meilleures élites européennes : des lettrés, des artistes, des savants, mais aussi des banquiers et des commerçants. Pour résister aux convoitises, Avignon s'entoura de sa couronne de remparts.

Mais la peste noire ravagea la chrétienté, faisant quarante millions de victimes en Europe, dont 62 000 – la moitié de la population – dans la seule ville d'Avignon ! On ne bricolait pas à l'époque ! Le minable Covid peut aller se rhabiller…

Innocent VI, un limousin âgé et maladif, était un triste qui ne prenait son pied qu’en voyant brûler ceux qui s’opposaient à lui. Les temps devinrent durs avec les Grandes Compagnies qui ravageaient le pays pour leur compte. Du Guesclin vint camper à Villeneuve, à la tête d'une armée de rufians. Il fit cracher le Pape au bassinet avant d'aller mourir en Lozère… en buvant de l'eau ! Boire de l’eau… Quelle idée saugrenue, surtout pour un Breton. Urbain V, un bénédictin marseillais, voulait faire retourner la cour pontificale à Rome… Ce qui ne plaisait pas du tout au Roi de France ! Peine perdue : le pape quitta Avignon. Il resta trois ans à Rome mais c’était un tel foutoir qu’il se résigna à revenir à Avignon. Grégoire XI voulait lui aussi retourner à Rome. Ce qu'il fit en 1376, malgré les larmes et les cris des malheureux avignonnais laissés orphelins…

Et c'est donc au Vatican que son successeur, Urbain VI, un Italien, fut élu sous la pression de l'émeute. Les cardinaux, divisés en deux clans, éliront quelques mois après un autre pape, Robert de Genève, sous le nom de Clément VI. Une belle galère ! Un pape à Rome, un autre à Avignon ! Un brillant ce jeunot Clément VI, trente-six ans lors de son élection. Il renoua avec les fastes de la cour avignonnaise.

Enfin le catalan Pedro de Luna fut le dernier pape avignonnais sous le nom de Benoît XIII, en cette époque de schisme. Les cardinaux l'ayant laissé tomber, il s'enferma dans son redoutable palais forteresse qui, malgré tous les assauts, demeura inexpugnable. Il restera reclus pendant cinq ans puis réussira à s'enfuir, vivant maintes aventures rocambolesques.

Avec le retour des papes en Italie, Avignon perdit son rang de capitale... Mais son prestige survécut quelque temps, car la ville gardait l'espoir du retour de la papauté. Restant terre papale, elle reçut un vice-légat avec une grande autonomie politique. L'essor commercial de la ville, dû à sa situation géographique, continua avec les banquiers et les grands commerçants florentins. Le temps de la gloire était passé, mais pas celui de la richesse. Avignon demeura terre papale jusqu'à la Révolution française. La population avignonnaise expulsa alors le représentant du pape et demanda la réunion de la ville à la France. Chose qui fut faite le 14 septembre 1791…

La ville entra alors dans le rang, devenant préfecture d'un des plus petits départements de France… Grandeur et décadence ? Bof…

Mais regardez-la se pavaner voluptueusement au soleil, triomphante et sûre de son charme avec ses airs de reine ! Elle n’a pas oublié qu’elle fut un jour une des capitales du monde. Et elle a encore de bien beaux restes la mâtine !


Jean-Victor Joubert

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ALLEZ ! ZOU... ENVOLE-TOI AVEC MOI

ET DÉCOUVRONS AVIGNON-LA-SOMPTUEUSE


Salut ! ami venu d’ailleurs ! Tu veux connaître Avignon ? Alors suis pas à pas un vieux renard qui, si tu le veux bien, va t’ouvrir la piste.

Avignon, la ville sonnante aux vingt clochers et aux cent madones. Avignon la Florentine. Avignon qui n’a jamais su oublier qu’elle a été pour un siècle la capitale du monde chrétien.

C’est par la rive gardoise qu’il te faut la découvrir. Toutes les autres entrées ont été salopées – comme toutes les villes françaises d’ailleurs – par d’impersonnelles zones commerciales où les mêmes enseignes surmontant les mêmes bâtiments, les mêmes parkings de grandes surfaces, partout, gâchent les abords des villes.

Te voilà donc sur le pont Daladier qui franchit le Rhône entre Gard et Vaucluse. Retourne-toi pour un dernier coup d’œil vers les riches coteaux arborés du Gard parsemés de villas cossues, puis ouvre grands les yeux : l’un des plus somptueux paysages urbains du monde va s’offrir à toi.

Avant de pénétrer la belle, retiens-toi un peu, fais durer les prémisses. Arrête-toi sur la Barthelasse – plus grande île fluviale de France – et, assis à l’ombre des grands peupliers blancs, écoute parler le fleuve et chanter le mistral. Ecoute-les te raconter, de leurs paroles d’eau et de vent, le destin de cette cité choisie.

Médite devant la puissance et l’harmonie de ce rêve de pierres, de ciel et d’eau. De cette cité que l’Histoire a marqué de son sceau indélébile. De cette ville de Provence qui a été le centre politique et spirituel du monde.

Le voici ce fameux pont Saint-Bénézet que les enfants du monde entier chantent en leurs tendres années. Ce pont qui unissait Empiles terres du Saint Empire Romain Germanique – et Riaumcelles du Royaume de France, mais sur lequel on n’a pas toujours dansé, comme en témoignent la Tour de Garde, côté avignonnais et la puissante Tour Philippe-le-Bel, côté villeneuvois. Il a un petit côté surréaliste ce pont qui débouche…sur de l’eau  au lieu de l’enjamber ! Il faut dire qu’il a été maintes fois cassé, reconstruit, ravagé de nouveau par la furie destructrice des soudards et du fleuve en colère.

Un fleuve qui imprègne la vie de la ville. Il en est source de vie et bourreau terrifiant. Lorsqu’il était le Fleuve Dieu, sauvage, redoutable, impétueux avant que digues et barrages ne le castrent, les Avignonnais rejoignaient la grande île par une ingénieuse barque à traille qui, accrochée à un câble transversal, utilisait le courant pour sa propulsion ! Au même endroit existe maintenant un vaste et confortable bateau électrique qui transporte, l’été, gratuitement promeneurs et touristes de la rive avignonnaise à la rive orientale de l’île.

Le Rhône, au temps de sa puissance, aimait tellement Avignon qu’il l’investissait de ses eaux ! Des plaques commémoratives, sur les murs des remparts, indiquent les niveaux effrayants qu’il atteignait. Mais le fleuve a aussi fait la richesse de la cité lorsque débarquaient le long de ses quais les marchandises transitant entre Méditerranée et Europe du Nord. Les berges grouillaient d’une vie laborieuse, rythmée par les palabres interminables et gouailleuses qui sont un des charmes de la joie de vivre provençale. L'appontage du bateau électrique qui remplace la barque-à-traille occupe à présent les quais, mais l’animation n’est plus la même.

Avant de laisser tes pas te conduire à la découverte de la Cité des Papes, approche-là, courtise-la en longeant ses remparts, les plus longs du monde après la Muraille de Chine ! Tant de l’intérieur que de l’extérieur, apprécie la largeur des fondations, la multiplicité des tourelles de défense, la puissance de la muraille crêtée de mâchicoulis et de créneaux que prolongeaient des fossés remplis d’eau, aujourd’hui comblés. Plusieurs fois menacés, plus par un modernisme pas toujours heureux que par guerres et inondations, les remparts, incomparable parure de pierres blondes de la ville, ont été souvent restaurés, notamment par Violet-Leduc. Un esprit moderniste brillant avait même projeté d’y faire courir…la voie ferrée ! De nombreuses constructions inesthétiques s’y adossaient. Elles ont heureusement été enlevées. L’un des édiles avignonnais, le ci-devant Pourquery de Boisserin, fit venir en son temps les soldats du Génie pour abattre, de nuit, la Porte de l’Oulle, celle qui est en face du pont Daladier… Le même avait déjà sévit et détruisant la Porte Limbert. Une rue porte tout de même son nom : les avignonnais sont magnanimes !

La porte de l'Oulle, découpée par le célèbre Pourquerie

Les remparts

Pénètre enfin cette ville aux airs de capitale par la Porte de l’Oulle. Te voilà sur l’harmonieuse place Crillon. Admire les chaudes couleurs des pierres de Fontvieille du fronton de la Comédie, avec sa superbe tête d’Apollon radiée. Au nord de la place, l’Hôtel d’Europe – reconnu comme l’un des plus beaux établissements du monde – propose son luxe feutré aux voyageurs fortunés.

La rue du Limas, toute proche, doit son nom aux limons du Rhône, à l’époque où elle était hors la première enceinte. Car Avignon a eu trois enceintes concentriques. Cette rue conduisait vers un quartier chaud de la ville, la Balance, où de belles hétaïres peinturlurées proposaient leurs charmes tarifés. Maintenant réhabilité avec plus ou moins de bonheur, ce quartier fait la liaison avec le Palais des Papes.

Par la ruelle de la Pente Rapide, traverse un quartier qui, à l’époque pontificale, abritait les Juifs d’Avignon. Elle débouche sur la Place du Palais avec, à gauche, la façade du Petit Palais qui fut un collège avant d’abriter le Musée Campana et ses inestimables collections de primitifs italiens.


Le Petit Palais, ancien Collège, qui abrite maintenant la collection Campana

Et le voici ce Palais des Papes, la demeure fortifiée la plus puissante du monde, faite de façades abruptes, de tours puissantes, d’arcatures élégantes. La masse, la force, la verticalité, l’harmonie donnent un choc à qui découvre pour la première fois ce témoignage de la volonté des Papes de s’installer à demeure sur les rives du Rhône.

La cathédrale Notre-Dame-des-Domsdomo episcopalia connu bien des vicissitudes depuis la première basilique du IVe siècle. Elle reste un chef-d’œuvre de l’art roman provençal. Le clocher actuel, reconstruit au XVe siècle, fut surmonté de la Vierge en fonte – fort controversée lorsqu’elle fut érigée en 1859 – mais qui fait maintenant partie du paysage. Et elle brille la luronne ! On la voit de loin : elle a été récemment redorée à la feuille d’or véritable !

Gravis les larges rampes ombragées qui te conduiront au Rocher des Doms, berceau de la ville, où se trouvait le castrum romain, puis le fort Saint-Martin qui, transformé en poudrière, explosa en 1650. Sacré feu d’artifice ! Le superbe jardin actuel, agrémenté de pièces d’eau où règne une érotique Vénus nue, date du XIXe siècle. On y découvre un paysage grandiose sur Villeneuve, la vallée du Rhône, le Ventoux, les Alpilles, le Luberon, avec, en premier plan, la ville à ses pieds.


Face au Palais des Papes, voici l’hôtel des Monnaies : façade du XVIIe, très italienne avec des ornements disproportionnés représentant les armoiries du Pape Paul V. Il a abrité le conservatoire de musique.

À l’angle Sud du Palais des Papes, dans le prolongement de l’arc-boutant, la Vice-gérance – habitation du Légat du Pape – est devenue une des grandes tables de la ville.

L'hôtel des monnaies

Voici enfin la place de l’Horloge avec le très harmonieux théâtre à l’italienne, l’Hôtel de ville surmonté de la tour avec son célèbre Jacquemart qui bat sa femme toutes les heures ! S’il ne sait pas pourquoi, il prétend qu’elle le sait… Il y avait sur ce forum célèbre, à la place du carrousel, un grand monument plein de lions et de belles callipyges, érigé à l’occasion du centenaire du rattachement de la ville à la France. Il a été exilé sur un parking près du Rhône, aux allées de l’Oulle.

Place de l'Horloge, le théâtre (ci-dessus) et la mairie (ci-dessous)

Lorsque le soleil cru ne permet plus que le mouvement des langues dans les bouches, assieds-toi à l’abri délicieux de ces grands platanes aux larges poitrines, dont les bras jamais taillés dressent jusque dans les hauteurs du ciel des toisons miraculeuses d’ombres vertes qui sentent l’anis, bruissantes de la symphonie lancinante des cigales et cigalons. Sur cette agora, en buvant le pastis, tu peux savourer les trésors que t’offre Avignon-le-Belle, t’enivrer de la vie qui l’enfièvre, essayer de découvrir l’âme de la Provence à travers les Avignonnais, leur art de vivre, leurs légendes, leur cuisine, leurs vins, leurs divertissements, leurs festivals. Avec en prime ce sens innée, naturel, de la palabre, du geste, de la “ tchatche ”, propre à tous les peuples de la Mare Nostrum.

Tout autour de la place de l’Horloge, centre vital du festival de théâtre le plus célèbre du monde, tu découvriras, si tu lèves le nez, des peintures en trompe-l’œil qui permettent, toute l’année, une complicité amicale avec Jean Vilar, Gérard Philippe, Georges Wilson, Daniel Yvernel, Maria Casarès…

Le Festival est partout à Avignon, même en trompe l’œil !

Au Sud de cette place, derrière la façade somptueusement décorée de l’Hôtel de Baroncelli – haut-lieu du Félibrige, des traditions et de la langue provençale – entre donc savourer le calme du patio intérieur : tu apprécieras, même en temps de vacarme festivalier, le silence dans la tremblante réverbération des murs gorgés de lumière.

Au débouché Sud de la Place de l’Horloge, la rue de la République est la seule véritable avenue de l’Avignon intra-muros. Percée sous le second Empire sur l’emplacement de l’ancienne rue Saint-Marc, elle s’appela d’abord rue Bonaparte. Ce fut l’artère commerçante par excellence, avec ses Grands Magasins sur trois étages – les Dames de France, Les Nouvelles Galeries – , de belles boutiques de mode qui faisaient d’Avignon un petit Paris, des cafés, des cinémas. C’était le « paseo » à l’espagnole où les jeunes et jolies Avignonnaises venaient parader devant une gent masculine qui appréciait. Hélas ce temps est révolu et la « Rue de la Ré » a perdu de sa superbe. Les belles boutiques ont été remplacées par des marchands de grolles de caoutchouc entoilé, les grands magasins vendus à la découpe et les brasseries par des vendeurs de kebabs. Quant aux cinémas, ils ont plié boutique, ringardisés par les grands complexes installés en banlieue… Grandeur et décadence.

La rue de la République n'a plus la classe de la "Rue de la Ré" d'antan avec ses belles boutiques de mode, ses cinémas, ses brasseries...

Le cinéma-théâtre Palace, cours Jean-Jaurès et un bistro au nom venu d'ailleurs (ci-dessus)

La façade herborisée des halles (ci-dessous)


Tiens ! buvons un coup à la terrasse de l’un des nombreux bars et restaurants qui jouxtent la place. Regarde, là en face, cette tour. C’est la Tour-Saint-Jean, dernier vestige de la Commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, superbe ensemble de bâtiments jetés bas au nom du « progrès » par le redoutable Pourquery de Boisserin… Oui, celui de la porte de l’Oulle et de la porte Limbert.

Tout autour de cette place, flâne de bar en bar, parcourt les rues marchandes et piétonnières, savoure la faconde des habitants qui s’interpellent d’une boutique à l’autre, laisse-toi imprégner de l’âme avignonnaise.

Nos pas nous mènent vers la place Carnot. Tout à côté, rue des Marchands, voici l’hôtel Gilles-de-Ribas, une superbe bâtisse moyenâgeuse, avec ses étages décalés en saillie sur la rue. Puis c’est l’église Saint-Pierre, dont la façade est la plus ornée de toutes les églises d’Avignon. Elle marie harmonieusement la rigueur du gothique et la flamboyance du style Renaissance.

Par la rue Carnot et ses boutiques bien achalandées, nous voici à la place du Portail-Matheron, limite de la ville romaine et gardant encore le nom d’une porte de l’enceinte du XIIIe siècle. Descendons la rue Carreterie qui, aux temps jadis, était hors de la première enceinte. Elle mène vers les extérieurs Est de la ville. En passant, à gauche, la place des Carmes. C’était autrefois la halle aux grains de la ville, avec une élégante charpente métallique genre Baltard. Fracassée pour laisser place à un parking… Elle reprend vie pourtant la samedi matin avec le marché aux fleurs et le dimanche matin avec le marché aux puces. En face, l’église Saint-Augustin, contemporaine de celle de Saint-Didier, possède un superbe clocher qui, comme la Tour de Pise, penche ! D’un seul côté. Mais il tient toujours, depuis le XIVe siècle !

La place des Carmes "modernisée" (en haut) et le clocher qui penche (un peu...)

Perdons-nous dans le dédale de petites rues coupe-vent qui remontent vers le Rhône, à l’Ouest. Rue Banasterie, voilà un bâtiment qu’il vaut mieux voir de l’extérieur que de l’intérieur, c’est la prison Sainte-Anne qui fut l’une des plus insalubres de France. Elle est en cours de réfection avec une destination plus agréable. Une taule flambant neuve a été construite au milieu de la zone commerciale du Pontet, à l’Est de la ville. D’en haut du Rocher des Doms, une esplanade domine la prison. Et tous les jours, des dialogues pathétiques se nouaient entre les taulards et leurs familles ou leurs amis, juchés sur les rochers. « Roger !Roger ! Oh ! Roger ! Tu m’entends ? J’ai vu ton bavard. Ça devrait bien s’arranger. Dis à Rachid que sa femme a fait le petit. C’est un beau garçon. Courage, Roger. Je te papouille tendrement. A demain. » Tout ça en gueulant et multiplié par dix, quinze conversations…

Un peu plus loin, adossé aux remparts, regarde la très élégante façade de la chapelle des Pénitents Noirs, due à l’architecte Thomas Lainée. Elle contraste par sa flamboyance avec la rigueur de l’ordre qui l’a faite construire. Cette confrérie avait le privilège de pouvoir délivrer un condamné à mort au cours d’une cérémonie redoutable. Ceux qui allaient passer au barbecue ou se faire raccourcir traversaient la ville, enchaînés, vêtus et cagoulés de noirs, précédés par les moines pénitents qui chantaient des psaumes de mort en les menant assister à leur messe de requiem avant le supplice. Et l’un d’eux, choisi au hasard, était sauvé au dernier moment ! Ouarf ! Le suspense macabre… C’est vrai que les tonsurés de l’époque étaient aussi ouverts que les talibans actuels…

Gagnons la porte Saint-Lazare en longeant les remparts par l’intérieur. En franchissant cette porte, nous voici sur un terre-plein ombragé, fief des boulistes Asseyons-nous à la terrasse du bistrot, devant un petit blanc des Côtes-du-Rhône bien frais, et regardons, et écoutons, et savourons :

- « Oh ! putaing ! Y s'est pas narré ! Sa boule, elle tête le garri, ça leur en fait trois et y finissent. Coquin de sort Loulle, tire volontiers ou on est foutu !

- Oh, fatche ! Si j'avais pas ce rhumatisme qui me mange le bras... Ça me prend au poignet, ça me monte au coude et ca m'estransigne l'épaule.

- Ça serait pas plutôt la paoule de baiser Fannie qui te mange le bras ? »

Et Loulle, souverain, sans relever le lazzi lourd de menace pour son honneur de boulomane, essuie son intégrale, se concentre et rapidement son bras se déploie, la boule part, monte et… s'abat en un claquement de triomphe sur la boule adverse qu'elle chasse, prenant exactement sa place. Le carreau parfait qui douche l'enthousiasme de ses adversaires et fait sauter de joie, bras au ciel, ses partenaires.

- « Un rhumatisme comme ça, si tu veux me le vendre, je suis preneur... »

La pétanque, c'est la scène ombragée où les provençaux, sans se forcer, expriment leur talent inné, naturel pour le théâtre, la geste, la répartie cinglante, l'humour ravageur. Bref, pour l'estrambord.

Quand reviennent les beaux jours, comme dit la chanson, va les voir ces fameux boulomanes à Saint-Lazare ou aux Allées de l'Oulle. Mais fais-toi petit, ne gêne pas : il y a des réputations en jeu... et parfois même du pognon, beaucoup de pognon. Un régal !

La mine réjouie, retournons à l’intérieur des remparts par la porte de l’ancien hôpital Sainte-Marthe, fondé au XIVe siècle. L’édifice actuel date des XVIIe et XVIIIe siècles. Il fallut beaucoup d’écus, de nombreuses années et plusieurs grands architectes et sculpteurs dont Borde, Delbène, Péru, Pierre Mignard, Franque père et fils pour achever l’établissement dont la superbe façade mesure 175 mètres ! Les services hospitaliers, regroupés hors murs, ont laissé place à l’Université. 


Une des dernières roues de la Rue des Teinturiers

L’impressionnante façade de 175 mètres de l'ancien hôpital Sainte-Marthe, abritant maintenant l'Université


Un peu plus loin, après la porte Thiers, voici la rue des Teinturiers et ses grandes roues à aubes qui tournent au courant d’une des nombreuses Sorgues. C’était le fief des « indianaires » (indienneurs) d’Avignon, fabricants de ces délicats tissus imprimés originaires de Madras. Ils étaient cinq cents à laver, teindre et sécher leurs tissus multicolores dans les eaux de la Sorgue. Leur industrie fut ruinée par un concordat entre le Saint-Siège et le Royaume sur plainte des Fermiers généraux français sous prétexte…de contrebande. Soleiado et Olivado sont les derniers à perpétuer ce savoir-faire. Cette rue abrite, en période du Festival de théâtre, de nombreux lieux scéniques.


Par la rue des Lices, qui marque l’enceinte du XIIe siècle, voici l’Aumônerie générale, encore appelée Caserne des passagers. Ce grand et bel édifice a été fondé par le Conseil de Ville de 1546 à 1557. Il était destiné à recueillir les pauvres, les vieillards, les mendiants. C’était les restos du cœur de l’époque. Ce qui nous donne une bonne leçon à distance de siècles… L’ombre des démolisseurs a longtemps plané sur cet harmonieux bâtiment de trois étages ouvert de larges baies et d’arcades élégantes. Fort heureusement, il a enfin été réhabilité.

Toute proche, la place des Corps Saints. Elle fut cimetière à l’époque romaine, puis porte de l’ancienne enceinte du XIIIe, aboutissement de ruelles chaudes où des dames à la cuisse hospitalière accueillaient les tracassés de l’asperge du temps des garnisons et les collégiens boutonneux pour leur inauguration. C’est actuellement le centre actif, agréable et ombragé d’un véritable village dans la ville. En flânant dans les rues adjacentes, le soir, tu peux encore trouver quelques accortes personnes court vêtues et au sourire forcé, dont Nadia-carte-bleue et Mado-langue-de-velours, qui s'enquerront : « J’te plais mon loup ! »


 Villeneuve, la sœur et rivale d'Avignon

Tu ne peux pas connaître Avignon sans voir sa ville sœur et concurrente : Villeneuve. Allez, zou ! On retraverse le Rhône. Te voici à Villeneuve, la cité qui, côté “ Riaum ” - côté royaume de France – a, de tous temps, été la rivale complémentaire d’Avignon. Les Villeneuvois disent Villeneuve-sur-Avignon et considèrent qu’en traversant le Rhône, ils vont dans les pays de l’Est – du fleuve bien sûr. Tout comme celle-ci, elle fut fondée sur un rocher, le Mont-Andaon, où des moines bénédictins élevèrent le monastère de Saint-André au Xe siècle. Pour s’affranchir de la tutelle des Avignonnais, les bénédictins conclurent un traité de paréage avec le roi Louis VIII, puis avec Philippe-le-Bel et Jean-le-Bon. C’est ce dernier qui fit construire l’enceinte du Fort Saint-André pour lutter contre les Grandes Compagnies qui semaient la terreur.

Admire-le ce fort Saint-André qui fait de Villeneuve une sorte de Jérusalem provençale avec son enceinte crénelée et ses tours jumelles puissantes et majestueuses. La tour Philippe-le-Bel, qui se reflète dans les eaux fraîches du Rhône, est le dernier vestige d’une puissante forteresse militaire qui commandait le débouché du pont Saint-Bénézet. La ville neuve s’est construite autour de son église collégiale entre le Fort et la Tour. Flâne sous les arcades de la rue qui fait face à la collégiale et à son puissant clocher carré. Puis par la rue de la République et ses coquets commerces, gagne la Chartreuse du Val de Bénédiction. Elle fut la plus grande de France et possède des trésors architecturaux. Réhabilitée, elle abrite une institution culturelle importante qui accueille de nombreux écrivains de théâtre.

La journée s’achève, le soleil descend vers les collines de l’Ouest. C’est la meilleure heure pour retourner vers Avignon par le pont Daladier. La lumière chaude du soleil couchant peint d’ocres roses et blondes les remparts, le Pont, les églises et les vertiges de pierre du Palais des Papes. C’est du grand spectacle.

Voilà, ami. La boucle est bouclée. Au gré de tes flâneries dans la ville et ses environs, tu as vu se dessiner cette âme provençale faite des strates des civilisations qui la génère : la finesse et la culture grecques, la fougue gauloise, la ruse ligure, la rigueur romaine, la faconde levantine, la passion mauresque, la rudesse franque, la gaieté italienne, le goût du mystère ibère. Et toujours le sens naturel de la palabre, de la « tchatche », des "estrambords" comme on dit en Provence.

Bienvenu ! ami venu d’ailleurs.

À pied, en bateau, en aéronef, en voiture ou en train, tu reviendras !


Jean-Victor Joubert